Consécutivement à l’hommage du méritant Chott, il convient de se pencher quelque peu sur les éditions LUG. Elles ont bercé l’enfance de beaucoup d’enfants qui trouvaient quelque chose de fabuleux, d’étrange mais surtout d’inédit dans notre beau pays. Ainsi si beaucoup d’entre vous ont fait le lien entre Fantax et Fantask, il convient donc de deviser quelque peu sur une maison d’édition qui a tant compté pour la plupart d’entre nous et qui a importé les super-héros marvel en France.
LUG est donc une société d’édition d’après-guerre, en 1950. Elle fut co-fondée par Marcel Navarro et Auguste Vistel et les publications s’adressaient à la jeunesse. Créneau sensible s’il en est, et qui causa beaucoup de soucis à Mr Chott. Puisque la bd était la principale source de distraction pour la jeunesse de l’époque de nos glorieux aînés, il y avait donc pas mal de maisons d’éditions.
LUG trouva un créneau confortable et rentable grâce aux productions italiennes du studio Bonelli. Ainsi la mode des Tex Willer et autres pistoleros déferla dans les poches des écoliers puisque les formats étaient tascabilles, c’est à dire prompt à se ranger dans les poches des uniformes ou des vestes des écoliers. LUG connaissait donc un succès : les pockets se vendaient bien et le public français était demandeur. On adjoint en interne d’autres héros tels que Zembla qui occupèrent dès lors le créneau « jungle et aventures », pour ne pas dire Tarzan.
Mais la direction de LUG, qui était avisée, savait qu’il ne fallait pas se limiter à un seul créneau, une seul matériel. Aussi, Claude Vistel et son père regardèrent quels autres bd pouvaient être importés, et les essais furent quand même nombreux. On eut le droit à Pim Pam Poum, une des plus vieilles bd qui dura un temps.
Puis LUG s’essaya un Dan Dare, le Perry Rhodan anglais publié par Ipc/Fleetway en 1961.
Malgré ses qualités, Dan Dare ne dura pas, 12 numéros et une année, ce qui est un flop.
Mais Claude Vistel fut une femme alerte et le second créneau, qui assura la postérité de la firme pour notre génération et les suivantes, vint plus tard, en 1969.
Marvel tentait de s’introduire en Europe, et elle n’y parvenait pas. Aussi elle tentait de vendre ses comics avec un tarif à la page assez faible. Ce fut donc LUG, qui y croyait mollement, qui s’y risqua. Fantask ouvrit le bal. Personne ne peut s’empêcher de penser à un hommage de la part de Marcel Navarro à son ancien comparse Pierre Mouchot, jaillit donc en 1969.
Ce fut, aux dire des pionniers qui l’achetèrent , ce fut un choc : on avait jamais lu ça en France et le public fut conquis, ébloui. L’aventure ne dura que 7 petits numéros. Le principe éditorial de LUG était de s’adresser à la jeunesse, et donc devait conformer ses revues à l’avis de la fameuse commission paritaire pour la jeunesse, qui ne manqua pas d’acter de son droit. Fantask dut cesser de paraître après un petit tour et subit les mêmes affres que Fanrax…
Mais il se passa quand même quelque chose de notable, une sorte d’enthousiasme de la part de la jeune audience, qui fut scotché à ces héros tout à fait novateurs. Ainsi la direction de LUG tenta à nouveau le coup avec Strange, qui dura quand même 325 numéros. Ainsi plusieurs générations de lecteurs furent transportés dans des aventures bariolées et parfois haletantes des super-héros marvel. Sous les couvertures fabuleuses de Jean Frisano, LUG représentait alors une petite lucarne fantastique dans une France quand même conservatrice où les lignes ne bougèrent pas beaucoup.
Ainsi, les publications LUG étaient systématiquement négligées par les autres médias, à peine de la littérature pour enfants, de mauvais goût qui plus est. Je n’ai aucun souvenir de la moindre reconnaissance officielle de la part d’un média, d’un article dans la presse quelque peu élogieux, ou encore d’un quelconque prix de bande dessinée ou d’une reconnaissance d’un festival, même succinct. LUG était considéré comme de la bd novice, avec une connotation en sa défaveur et il n’y a guère que l’écrivain Jean-Pierre Andrevon qui ait salué l’événement comme il convient. Mr Andrevon est un écrivain qui écrit toujours dans l’Ecran Fantastique. On peut sans difficulté lui rendre hommage pour sa célérité et son ouverture d’esprit, malgré le fait qu’il n’y ait qu’une culture en France, il semble que son acception soit multiple et qu'il y ait des sous-catégories.
Lug continua donc son petit bonhomme de chemin, malgré l’arrêt de Marvel après 13 numéros. Les titres se suivirent avec Titans, Spécial Strange, Nova puis Spidey ainsi que de beaux albums des quatre fantastiques. Il est à noter que LUG disposait d’un studio de retouches pour adoucir le contenu de ses cases. Le très grand Jean-Yves Mitton y commença à l’âge de 16 ans en 1961. Beaucoup protestèrent contre la « censure » de LUG (notamment pour les Dardevil de Miller). Pour ma part, j’opine que sans cette censure, peu auraient connu les comics et que des rééditions sont venues corriger cela.
Claude Vistel, qui reçut en quelque sorte cette profession en héritage, eut à subir des désagréments renouvelés de la part de la commission de censure. Elle avoua que ceci fut sa croix et que LUG était particulièrement surveillé, épié. Cette grande dame de l’édition, qui ne reçut aucun hommage malgré le fait que l’on lui doit tant et tant, avoua encore il y a peu que les super-héros n’étaient pas sa tasse de thé et qu’elle a d’autres inclinations dans la vie. Malgré elle, elle permit tout de même de faire évoluer l’édition en France, et nous pouvons lui être des plus reconnaissant.
LUG devint Semic vers 1989. Elisabeth Delannoy remplaça doucement Claude Vistel qui partit vers la retraite. Mais le marché avait quelque peu chuté : les périodiques et la presse se portaient de moins en moins bien et Semic en fut affecté. A mon sens, Semic perdit une occasion historique d’inaugurer une nouvelle ligne de comics issus de DC. Arédit et Sagédition avaient succombé l'année d'avant et le créneau était à prendre. Un mensuel avec Superman de Byrne, Wonder Woman de Perez, la nouvelle Jla et Crisis était à tenter : le succès aurait sûrement été là. Une grande occasion manquée, un manque de clairvoyance dont Dc paye encore les fruits à l’heure actuelle…
Un ami, un peu plus âgé que moi, m’a dit qu’en 1978, l’arrivée de Goldorak et de Star Wars fut une explosion pour les enfants : ils n’avaient jamais vu cela mais ils étaient immédiatement fans. Un peu comme si un big bang créatif s’était produit et les aurait marqués à jamais. C’est ce que l’on peut dire des éditions LUG, dont les confrères ou les médias étaient décidément bien peu reconnaissants !
Aussi merci à ces trois grands qui ont en quelque sorte établi l' an 1 de la culture geek en France, que l'on pourrait situer en 1969.