2ème partie
BA : La somme d’informations que contient un de vos ouvrages demeure époustouflante. De plus, vous n’aviez pas internet à l’époque, ce qui aurait pu vous faciliter les choses.
Quels sont les moyens que vous mettiez en œuvre afin de collecter autant de détails ?
Allez vous chercher vos informations à la source ?
FSM : Internet n’est pas tout. Peut-être même est-il le contraire, sur un plan philosophique. De nombreuses informations véhiculées sur la toile sont fragmentaires, voire fausses. Je ne fais pas confiance aux listings et autres données dont je ne peux vérifier la véracité. Les informations que je donne sont pour la plupart bien connues mais parfois disséminées dans plusieurs supports et je me suis borné à les rassembler. D’autres proviennent de déclarations, de mémoires des auteurs, toujours publiées avec leur assentiment dans la presse spécialisée américaine. D’autres encore me furent données par les acteurs eux-mêmes dans la mesure où j’eus la chance d’en connaître certains.
BA : Le but inavoué de vos articles ne seraient-ils pas de rendre hommage à tous les acteurs, parfois non retenus par la postérité mais qui ont tant contribué au média tel que nous le connaissons ?
De permettre de faire comprendre que les super-héros de comics ne constituent que le sommet d’un iceberg qui s’avère beaucoup plus riche ?
FSM : C’est exactement cela. C’est bien pourquoi je ne me permets pas de donner d’avis qualitatif dans mes articles parce qu’une œuvre est rarement le fait d’un seul homme. Surtout dans le domaine qui nous intéresse. Que seraient les comics que nous apprécions aujourd’hui si le Dr Wertham n’avait pas provoqué l’instauration du Comics Code ? Ses règles en eurent été complètement différentes et le duo que formèrent Stan Lee et Jack Kirby n’existerait probablement pas. Quand on s’intéresse vraiment aux comics il faut comprendre qu’ils ne sont pas le fruit d’une génération spontanée mais celui d’une société complexe et toujours en évolution.
BA : Je crois ne pas me tromper en supposant que vous vous intéressez à tous les courants de la bande dessinée.
Quels sont les auteurs dont vous appréciez le plus les travaux ?
Vous ne vous limitez bien sûr pas aux seuls auteurs américains ?
FSM : Je ne fais pas de différence entre les genres de la bande dessinée. Les comics n’en sont qu’un comme le western, les mangas ou le genre animalier européen. Mon panthéon personnel est donc varié, disparate mais incroyablement riche ! Riche en effet parce que la BD est une activité mondiale qui nous permet d’admirer le style d’auteurs multiples et nombreux.
Pour ce qui est des scénaristes ma préférence va aux franco-belges d’abord, Jean-Michel Charlier et Greg. Leur œuvre quoique immense et inégalable même si Robert Kanigher ou Paul Newman, pour qui j’ai beaucoup de respect et qui fut mon ami, écrivirent plus qu’eux. Roger Lécureux et Jean Ollivier ne devraient pas être non plus oubliés, ils sont des géants incontournables du domaine même si la tendance moderne vise à minimiser leur apport. Stan Lee et Jack Kirby, finalement indissociables, appartiennent aussi à cet ensemble et voisinent avec Hugo Pratt, René Goscinny ou Dick Browne. Mais ces derniers furent aussi des dessinateurs, ce qui nous ramène vers René Bonnet que j’ai déjà cité, Jack Kirby pour les quinze années de démesure du Silver Age et les New Gods. Franck Hampson dont le Dan Dare est d’une beauté absolue. Jean Giraud peut-être le Maître de tous. Et puis une foule dont je ne peux citer tous les noms : Raphael Marcello, Russ Manning, Frank Bellamy et Sydney Jordan, Hermann puissant et en constante évolution, Alex Toth, Steve Ditko, Paul Gillon maître discret, Joe Kubert, Russ Heath, Jijé, Sydney Jordan, Mouminoux, Arturo Del Castillo et tant et tant d’autres. Vous l’aurez compris je les aime presque tous.
BA : Que pouvez-vous nous dire sur Patrice Allart ? Ses ouvrages aux éditions de l’hydre semblent procéder une démarche quasi-scientifique des sujets qu’il traite. Ainsi chaque livre traité contient une incroyable somme de documents et d’informations, des guides clairs et indispensables qui n’ont pas d’équivalents en France.
FSM : Je ne connais pas Patrice Allart personnellement et je le regrette. C’est un érudit dont chaque nouvel opus m’étonne. J’ai beaucoup d’admiration pour son travail et son projet. Alors que le monde est en constante évolution, que les titres se multiplient et se complexifient, il arrive à en faire la perpétuelle synthèse. Même si j’ai le sentiment que ses travaux ne concernent qu’un petit lectorat j’ai l’impression que je ne peux lui offrir des moyens à sa mesure !
BA : Vous avez été publié aux éditions Encrage pour un très beau livre sur les Pulps. Quelle est votre opinion sur ce médium qui a précédé les comics ? Pensez-vous qu’il contenait tous les germes de la SF et dont certaines idées (clonage, voyage dans le temps) pourraient un jour se concrétiser ?
Est-ce que les ressorts de la dramaturgie inhérents aux comics en font, en quelque sorte, les ascendants des comics ?
FSM : Les pulps constituèrent un bouillon de culture d’où germèrent toutes les idées majeures de la littérature populaire américaine. Tout d’abord génériques, ils héritèrent des dime-novels leurs ancêtres, la rapidité d’écriture et la démesure, puis ils se dotèrent de genres et de héros. Il ne fait aucun doute que ce support donna naissance aux comics puisqu’il est possible de retrouver dans les équipes directrices des seconds, les organisateurs du premier domaine. D’ailleurs pratiquement tous les acteurs des comics vinrent des pulps. Le major Wheeler-Nicholson lui-même, connu pour être le fondateur de National Comics n’écrivaient-il pas pour Adventure ? Julius Schwartz, Raymond Palmer, Mort Weisinger et l’armada de leurs scénaristes venaient des pulps quand à Martin Goodman c’était, avant de devenir l’éditeur de Marvel Comics en 1939, un éditeur de pulps depuis 1931. Les ressorts qui présidèrent à la fabrication des uns furent employés pour les seconds. Si un jour quelqu’un s’amusait à concevoir l’arbre généalogique des genres populaires aux Etats-Unis il trouverait que les mêmes hommes qui débutèrent dans les pulps passèrent dans les comics, les livres de poche et pour nombre d’entre eux, migrèrent aussi vers la télévision. Ce n’est qu’une vision à courte perspective qui empêche de réaliser que tous ces domaines sont cousins, issus d’un même tronc commun, celui de la fiction.
Le domaine de la fiction est vaste et il englobe celui, encore plus vaste, paradoxalement, de la SF. Certaines des inventions apparues dans les pulps ont déjà vu le jour, mais c’est normal, les auteurs de ces nouvelles prémonitoires étaient des êtres intelligents et curieux qui allaient chercher leurs idées dans la littérature scientifique de l’époque et n’hésitaient pas à extrapoler. Quant aux autre, j’en suis persuadé, elles verront le jour à leur tour !
BA : Will Eisner a mis en garde les comics américains. Selon lui, les comics ont perdu la capacité de faire rêver les lecteurs grâce au merveilleux, au dépaysement et une imagination renouvelée.
Pensez-vous que les comics modernes évoluent dans une sorte de tunnel créatif (crossovers, genre trop codé, éditorial qui dicte la substance aux créatifs) qui les condamne au rétrécissement et à une agonie ?
Est-ce que, quelque part, Will Eisner faisait référence aux qualités des pulps et à leur aptitude à susciter l’évasion chez le lecteur ?
FSM : Je pense moi aussi que les auteurs des comics aujourd’hui, du moins ceux qui travaillent dans le domaine du super-héros, et il n’y a plus que celui-là qui fonctionne, sont condamnés à réécrire des variations sur un thème donné. Ce procédé peut donner des résultats intéressants, voire passionnants, il suffit de lire Alternates pour s’en convaincre, mais ce ne sont que des déclinaisons. Cependant n’oublions pas que d’une certaine façon, il en a toujours été ainsi. La plupart des titres étaient écrits pour répondre aux attentes d’un jeune public qui ne passait qu’environ deux ans dans le monde des comics. Le docteur Fatalis pouvait donc attaquer le Baxter Building tous les deux ans sans que les lecteurs y trouvassent à redire. Dans leur immense majorité ce n’étaient pas les mêmes d’une année sur l’autre ! Mais ceci n’est guère gratifiant. D’autant plus que les lecteurs de comics ont vieilli et pour beaucoup restent dans le milieu bien au-delà de ces deux années fatidiques.
Will Eisner a commencé sa carrière à une époque où les pulps tentaient de se renouveler et où un medium extraordinaire prenait son essor. Tout était permis aux comics puisque rien n’existait encore. Quelques années plus tard les pulps disparaissaient en mutant vers des formats différents. Leur richesse, leur variété et leur moindre coût n’avaient pas suffi à les protéger de la désaffection du public. Je ne crois pas qu’Eisner faisait référence aux pulps mais peut-être pensait-il à la BD européenne qu’il connaissait un peu. Cette BD est capable de tout mais, tout comme les comics, elle danse au bord de l’abîme. Les pulps ont disparus parce que leur format n’était plus adapté à leur époque. Ils sont nés au XIXème siècle et n’ont pu résister aux coups de boutoirs qui leur furent portés par les comics d’abord, puis le livre de poche et enfin la télévision. C’est ce même ennemi, transformé lui aussi, devenu un écran multifonctionnel, qui menace aussi bien les comics que la BD. Oh ces genres ne disparaîtront pas vraiment, les héros emblématiques survivront mais il leur faudra aussi, ainsi qu’au genre, se transformer pour survivre.
BA : Un autre de vos ouvrages aux éditions de l’Hydre, tout aussi intéressant, demeure Doc Savage alias l’homme de bronze. S’agit-il de votre héros préféré ? Pensez-vous que ses aventures et ses caractéristiques contiennent tous les germes des héros qui lui ont succédé ?
FSM : Doc Savage est effectivement l’un de mes héros préférés, encore que j’ai du mal à le dissocier de l’ensemble qu’il forme avec ses adjoints et en particulier Monk Mayfair et Ham Brooks ! Tout comme je ne puis vraiment dissocier Bob Morane et Bill Ballantine ou Bruno Brazil et Gaucho Morales ou encore Reed Richards et Ben Grimm car, intrinsèquement, je n’apprécie que modérément les héros trop parfaits. Quant le personnage fut édité, à la fin des années soixante par Pocket Marabout, je préférais les exploits de l’homme de bronze aux aventures pourtant voisines de Bob Morane. Aujourd’hui je trouve plus de richesse chez Morane que chez Savage mais plusieurs romans de ce dernier personnage, dont plusieurs publiés à l’époque, sont d’authentiques chef-d’œuvres. Quoi qu’il en soit Savage est un héros qui a façonné bon nombre d’autres personnages arrivés après lui. Superman lui doit beaucoup et par effet de ricochet beaucoup des autres super-héros. Doc Savage est le fruit d’une pensée encore raisonnable. Quand il fut créé on ne lui donna pas la faculté de voler mais ses autres attributs furent conçus en regard de ce que l’on croyait possible de développer dans l’être humain. Ceci dit, il est l’aboutissement d’une longue lignée de justiciers littéraires qui passe par de nombreuses pages qu’il serait trop long d’évoquer ici. Zorro ! Le renard de Monterey, n’en étant pas l’un des moindres.
BA : Quels sont les auteurs qui suscitent votre intérêt et qui seraient susceptibles d’être édités dans les éditions de l’Hydre ?
Avez-vous encore la motivation pour pousser l’aventure encore plus loin et transmettre tant d’informations ?
FSM : A vrai dire je n’en sais rien. Je n’ai aucun programme d’établi et ne puis garantir que d’autres livres paraîtront. Mes activités domestiques me prennent du temps ainsi que ma collection que je tiens à gérer raisonnablement. Les articles que je rédige pour Scarce ou d’autres supports représentent aujourd’hui le format qui m’est le plus pratique car il ne m’oblige pas à rassembler une documentation fournie et à rester ensuite de longs jours devant l’écran de mon ordinateur. Il est donc peu probable que je produise de sitôt un autre volume du genre de ceux des Editions de l’Hydre. Ensuite je ne sais pas si, quand je serai en dispense d’activité, tout ne repartira pas comme en 14 !
BA : Enfin, qu’est-ce qui motive l’expression et la transmission d’une passion que fort peu de personnes, finalement, font en France ?
Certains collectionneurs sont quelques fois renfermés sur eux-mêmes et peu partageurs, alors que vous entreprenez d’instruire et de faire partager vos connaissances, qui sont si vastes. Je doute, hormis une réputation d’excellence justifiée, que vous n’ayez tiré quelque profit de votre œuvre ?
FSM : Le milieu de la collection est curieux. Il tolère toutes les extravagances. On y retrouve toutes les variétés humaines et, en corollaire, tous ses comportements, même les plus excessifs. Souvent les collectionneurs campent sur un espace si limité qu’ils ne peuvent concevoir de le partager tellement il est réduit. Mais c’est parce qu’ils ignorent qu’ils peuvent poser le pied ailleurs et y rencontrer la même assurance que celle qu’ils croient devoir à leur relative expertise. Quand la collection rime avec ouverture d’esprit, ce qui n’est hélas pas toujours le cas, l’obsession est un moindre mal ! De toute façon, l’information est toujours disponible d’une façon ou d’une autre. Il suffit de la chercher. Quelle catastrophe alors pour celui qui s’y est cramponné avec le désespoir de l’avare !
Si les profits que vous évoquez sont de nature pécuniaire, bien sûr je n’ai rien gagné à tout cela. Certains de mes travaux me sont payés mais si l’on fait le compte de ce qu’ils me coûtent en temps, en recherche et en achats spécifiques, ces défraiements ne représentent rien. Mais je n’ai jamais songé à tout cela en ces termes. L’essentiel pour moi est de faire partager ma passion pour les auteurs, grands ou petits, qui ont contribués à nous faire mieux vivre. Je n’ai pas le temps ou les connaissance pour faire la même chose dans d’autres domaines (heureusement d’autres le font à ma place), mais on ne saluera jamais assez tous ces acteurs d’un monde meilleur. Par contre j’ai rencontré souventes fois des amateurs passionnés, curieux et enthousiastes qui m’ont permis de partager mes admirations et de faire des découvertes. Et s’il faut parler de profit, ces occurences en sont qu’il ne faut pas négliger.
Un grand merci, Francis, pour vous être livré à cet exercice.