3.Une recette éprouvée.
Un scénariste de l’époque, dont je ne suis hélas pas parvenu à retrouver le nom, raconta par la suite que c’est lui qui avait appris au jeune Stanley Lieber comment confectionner une histoire, quels en sont les rouages et faire en sorte que cela fonctionne bien à la fois dans un format comics mais également du point de vue émotionnel. Ce même créateur raconta également que le jeune Stanley Lieber intégra parfaitement ces fondamentaux et qu’il ne cessa jamais, durant la première partie de sa carrière, de les mettre en pratique, de les affiner et donc les assimiler parfaitement.
C’est donc une technique d’écriture très éprouvée, la même, qu’utilise Stan Lee depuis presque le début de sa carrière jusqu’aux derniers comics que nous avons pu lire de lui, notamment RAVAGE 2099 ou encore STAN LEE JUST IMAGINE.
En effet, que ce soit dans ses premiers travaux, que ce soit le Whizzer, Captain America ou d’autres personnages de cette première ère de la firme, Stan Lee apprend à roder une formule scénaristique qui, outre la forme, implique un personnage dans une histoire où sont mêlés une menace, les doutes du personnages, un intérêt romantique, le climax qui voit la confrontation du héros face à la menace ou au vilain, puis une analyse succincte du héros face à son triomphe.
Amusez-vous à analyser vos comics de Stan Lee sous cet angle, vous allez bien vous amuser !
Cette formule, Stan Lee l’a donc assimilée pendant la première période de son rôle dans Timely. En effet, Kirby et Simon partirent vite de Timely à la fois parce que les dividendes de Captain America ne leur furent pas rétrocédés mais aussi parce qu’ils furent dénoncés car ils firent un numéro de CAPTAIN MARVEL ADVENTURES. En effet, il s'agit du premier outrage de la part de Timely/Marvel envers Joe Simon mais surtout Jack Kirby. Ils partirent en effet au bout de 10 numéros et, comble de l'outrage, Joe Simon eut un choc en 1944 quand, en Bolivie durant sa mobilisation pendant la seconde guerre mondiale, il vit la publicité et l'affiche de ce premier sérial !
Autre outrage pour Joe Simon, le retour de Captain America dans les années 60 vit comme crédit en tant que créateur du personnage...Stan Lee !
Stan Lee fut donc nommé éditeur en chef, provisoirement et faute de mieux et, à part la période où il partit en guerre de 1942 à 1945 où il fut remplacé par Vincent Fargo, Stan Lee resta et s’imposa envers et contre tout où il s’occupa aussi bien de faire tourner l’entreprise, de mener de front son rôle d’éditeur, mais aussi celui de créatif.
Il faut quand même rappeler que, une fois que la mode des super héros dans les années 50 s’estompa assez rapidement, Timely devenue Atlas s’essaya à tous les genres de comics en cours, que ce soit le western ou le policier. Stan Lee s’essaya donc à tous ces genres, en tant qu’éditeur et scénariste.
On connait mieux la période très intéressante de Stan Lee scénariste dans la période de monstres, celle qui précède et qui fait le lien avec les super héros du début des années 60. Cette période riche en monstres bigarrés, que j’apprécie énormément à titre personnel, permet de voir toutes les qualités de dramaturge de Stan Lee qu’il a donc porté à maturité pendant près de 20 ans.
Le procédé dramatique est donc toujours respecté à la lettre : la menace est grande, presque incommensurable, le personnage doute de pouvoir la vaincre mais il puise sa force dans le devoir, parfois aussi dans l’amour qu’il porte à une compagne, on assiste donc au climax où le héros a trouvé une astuce pour détecter le talon d’Achille de la menace et l’exploiter, enfin on revient à une normalisation de la situation une fois la menace défaite et une petite note philosophique sur l’avenir…
Le troisième grand élément typique de l'écritude de Stan Lee, auquel on peut superposer les dialogues et la trame narrative, demeure son aptitude pour la caractérisation des personnages.
Une autre des disposition de Stan Lee demeure de toujours trouver la petite étincelle, l'ensemble de nuances qui parviennent à créer puis à doter un personnage de spécificités, d'un environnement de personnages secondaires, d'un background puis d'une mission qui constituent un schèma à suivre pendant...des dizaines d'années !
Stan Lee le créateur parvient en effet à façonner un héros, à lui donner une certaine dimension puis une trame narrative qui pourra durer encore et encore.
En quelque sorte, Stan Lee a assi la formule du héros à pouvoir multiples mais aussi à numéros multiples !
Encore une performance à mettre au crédit de Stan Lee !
Toutes ses qualités furent confirmées assez récemment par le britannique Paul Cornell qui a récemment travaillé avec lui dans le studio Boom ! Comics. Selon les dires de Paul Cornell, ces fondamentaux sont l’essence d’une vraie histoire et Stan Lee, superviseur des trois titres à super héros de BOOM ! veillent particulièrement à ce qu'ils soient appliqués...à la lettre !
Stan Lee est donc bel et bien un bon story teller qui connait, maitrise et pratique parfaitement bien les rouages et la dramaturgie d’une histoire pour demeurer un auteur complet des comics, certainement l'un des plus grands si ce n'est le plus grand de ce média qu'il aura largement contribué à asseoir.
D'ailleurs, il s'est toujours employer à le faire savoir !
4.Stan Lee, l’art de se mettre en scène.
Après avoir écrit et donc, mis en scène des histoires, Stan Lee délaissa vers 1968 l’écriture des comics pour pratiquement l’abandonner presque totalement en 1972 ainsi que son poste d’éditeur en chef. Il faut dire que Stan Lee connut enfin le triomphe tardivement, à l’âge de 39 ans, si on considère comme repère FANTASTIC FOUR # 1 en 1961 et sachant que l’année 1963 vit pratiquement la mise au point de presque tout le cheptel des personnages de Marvel qui font encore sa renommée à l’heure actuelle.
C’est donc après deux décennies de carrière que Stan Lee récolte enfin les fruits de sa longue carrière, jonchée de difficultés, de doutes et d’échecs probables puisque Martin Goodman a failli faire fermer sa firme plus d’une fois.
C’est donc presque lassé que Stan Lee travailla dans le monde de cinéma où il partit sur la côte ouest des USA, à Los Angeles. Les résultats totalement médiocres de Lee relatifs à la transposition de ses personnages à l’écran fut précédemment racontés. Je n’y reviens donc pas.
Mais ce fut aussi une longue période de promotion où Stan Lee devint en quelque sorte le monsieur loyal des comics aux USA. Il fait figure du spécialiste qui intervient dans les médias, dont la télévision, faisant des tribunes, des conventions, se rendant dans des universités, étant volontiers interviewé, signant cordialement des préfaces dans les livres, rédigeant des œuvres testament comme ORIGINS OF MARVEL COMICS, HOW CREATE VILAINS, SONS OF ORIGINS OF MARVEL COMICS… où certains chroniqueurs dans les comics lui reprochèrent de se mettre en avant, de se situer comme le pivot d’une sorte d’hagiographie faite sur mesure alors que Stan Lee rendit toujours hommage aux dessinateurs qui travaillèrent avec lui et il ne me semble pas qu’il minimisa leurs apports.
Toujours est-il que, tardivement, les adaptations de Marvel comics arrivèrent quand même assez tard sur les écrans pour se révéler être un vrai jackpot. Stan Lee se retrouva donc mêlé de près ou de loin à la promotion de ces films.
Ce fut pour lui un retour sur le devant de la scène et il fit des caméos, donna des conférences et se livra à des interviews pour ressasser encore et encore comment il créa ses merveilleux héros… Stan Lee confia, lors d'une interview, qu'il a donné tant et tant de conférences et rencontré tant et tant de gens comme de personnalités qu'il confond les dates, les événements et les personnes rencontrées !
L'existence des "public relation" est à ce prix !
Certes, Stan Lee fit une ou deux participations dans des films, MALRATS ou LES GLANDEURS de Kevin Smith, L’AMBULANCE de Larry Cohen dans les années 80/90, certes il publia des romans tels que PUZZLE, certes il rédigea des scripts jamais aboutis pour le cinéma, mais ce fut cette nouvelle aura médiatique et cette légitimé de pape des comics qui permet à Stan Lee de revenir sur le devant de la scène…et de l’occuper !
Stan Lee fit donc un show HOW TO CREATE SUPER HEROS, qui établit et assit définitivement sa renommée pour le grand public. Stan Lee fut mise en scène dans les comics et il fut même décliné en poupées.
Bref, le parcours de Stan Lee fut quand même assez épique !
Il connut la gloire après deux longues et difficiles décennies où il dirigea laborieusement une petite firme qui faillit s’écrouler. Firme où il fut un éditeur ayant une vision assez claire et parfois opportuniste du marché mais il développa et mis au point sa remarquable formule de scénariste.
C’est donc cela à mon avis qui est, en définitif, à retenir de Stan Lee...Un auteur qui a adapté, rationnalisé et appliqué sans défaut une formule très aboutie de story teller de haute tenue aux comics.Une formule qui provient quand même de la littérature et que Lee aura adapté avec inspiration aux comics après des décennies - on a parfois l'impression que sa carrière de scénariste a démarré en 1961 alors qu'elle est en fait bien plus longue - et qui demeure splendidement bien rodée.
Cette disposition assez élevée fit sa renommée, sa fortune et, surtout, créa quelques uns des meilleurs personnages des comics, à la formule et aux ressorts aboutis, qui devront perdurer dans ce siècle et peut-être même le suivant !
Aussi, définitivement, on peut qualifier sa carrière avec sa célébre formule : excelsior !